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14 février 2010 7 14 /02 /février /2010 17:41

Lever de TerreGalen Rowell, photographe américain, affirma de ce cliché intitulé Lever de Terre, qu’il était « la photographie environnementale la plus influente jamais prise ». Imaginons l’effet d’une telle prise de vue sur les consciences des années 60. Pour la première fois on voyait la Terre, notre maison, comme un corps céleste lointain. La perspective en est troublante, même pour l’homme contemporain. La Terre, apparaissant si petite dans l’horizon lunaire, dévoile ses limites spatiales et sa couleur. On prend conscience que les continents, terrain de jeu privilégié des hommes, sont en réalité d’étendue restreinte par rapport à l’immensité des océans. La Terre a désormais un visage, ce sera la planète bleue.

Ce cliché ferait donc partie des éléments marquant le début d’une prise de conscience écologique. Les conquérants occidentaux, dans un contexte de guerre froide intensifiant les efforts de développement technologique, ont exploré les limites de l’infiniment grand, qui renvoie une image de l’humanité, désormais associée à sa biosphère, îlot bleu de vie au milieu de l’immensité sombre du cosmos.

Aujourd’hui, cette même puissance de feu technologique nous fait découvrir d’autres limites, plus internes cette fois. La planète, qui apparaissait déjà si petite dans le paysage de l’univers, le devient d’autant plus avec les échanges et les réseaux de communication globalisés, les effets climatiques « rebonds », et l’épuisement des ressources naturelles. Plus intimes encore, les limites d’un modèle de civilisation technologue se font sentir. Le progrès par le développement technologique ne semble plus suffisant pour répondre à la recherche d’un développement humain durable. Le progrès scientifique et technique, censé améliorer les conditions matérielles d’existence atteint ses limites car, finalement, il ne permet pas d’empêcher les guerres et la violence, ni de « maîtriser la nature ». Le système économique, bâti sur cette idée du progrès, ne permet pas de résoudre les problèmes de pauvreté et de faim dans le monde, voire les aggrave dans certains cas.

Ce sont en fait de nombreux paramètres sociaux et culturels, propres à l’homme et à chaque société, qu’il faut prendre en compte pour résoudre l’équation du développement. Des paramètres qui ne sont pas toujours quantifiables ni mesurables, difficiles à insérer dans les cases des modèles politico-économiques modernes. Le monde se révèle complexe, à l’image de l’homme, et le schéma de développement par le progrès technique ne parait plus satisfaisant pour le contenter. S’imposer par la force, qu’elle soit technologique ou économique, ne s’avère pas toujours être la façon la plus efficace pour y trouver son compte, que ce soit par rapport à d’autres peuple ou vis-à-vis de la nature. Face à cet échec, c’est tout un modèle de pensée occidentale qui s’effondre. Chaque individu n’est pas un être purement rationnel. Ses choix et comportements, de citoyen et de consommateur, ne sont pas tous rationnels. Les désillusions du libre marché théorique le montrent bien.

Dans son Introduction à la psychanalyse, Freud affirme avoir infligé la troisième grande humiliation à l’homme. Selon son analyse, la première fut infligée par Copernic, découvrant que l’homme n’était pas au centre de l’univers. L’orgueil de l’homme fut ensuite ébranlé par Darwin. L’homme est bien un animal comme son plus proche cousin, le chimpanzé. Enfin, Freud montre que l’on ne saurait expliquer certains effets psychiques sans considérer l’existence d’un inconscient, échappant à tout contrôle de la conscience.

L’homme (occidental ou indo-européen) connaitrait-il au vingt-et-unième siècle une quatrième humiliation, en découvrant que son espèce, si intelligente et puissante, se serait jamais « comme maître et possesseur de la nature », contrairement à ce qu’annonçait Descartes quatre siècles plus tôt ? L’homme, imparfait, libéré de son orgueil et de sa cupidité, prendrait-il conscience de sa juste place au sein de la bio-géosphère ? celle d’une espèce animale condamnée à préserver les équilibres naturels pour assurer sa survie.

 

Il n’est pas anodin de voir murir de nombreuses réflexions sur l’homme en tant qu’espèce, et également en tant qu’agent géologique capable de transformer la composition et le fonctionnement de la bio-géosphère. Philosophes, historiens et sociologues s’emparent du sujet. L’espèce humaine est prise comme sujet, ancrée dans sa condition biologique et son écosystème. Une fois l’« humiliation » passée, l’homme peut grandir en acceptant sa condition[1] et en poursuivant la réflexion. Poursuivons, donc.

En effet,  la survie de l’homme s’inscrit dans une niche écologique, bien que très largement étendue, dépendant des flux d’énergie et de matière disponibles. Bouleverser les équilibres écologiques grâce à une technologie trop puissante ne permettrait pas aux équilibres lents de se maintenir. La vitesse à laquelle s’opère la force (puissance = force x vitesse) devient trop rapide par rapport à la régénération des ressources, dépendant de processus naturels, et rend l’adaptation de l’espèce difficile. La prise en compte de l’homme en tant qu’espèce amène alors plusieurs pistes de réflexion intéressantes.

La force de l’homme, par son intellect et sa science, lui a permis de s’adapter à son environnement, bien que la voie empruntée ne paraisse pas soutenable pour les générations futures. Il s’agit à présent d’utiliser cette force d’analyse pour mieux comprendre notre environnement et le fonctionnement de la biosphère en tant qu’écosystème. C’est le rôle de l’écologie en tant que science. Curieux et intelligent, l’homme explore l’infiniment petit, l’infiniment grand et l’infiniment complexe, pour comprendre le fonctionnement des processus naturels, la composition de la matière, les interactions entre les corps célestes, etc. Il continue d’apprendre et de s’enrichir de ces connaissances scientifiques et repousse sans cesse les limites de l’invisible et du mystérieux sans jamais les atteindre, car la complexité du monde dépassera  toujours la capacité de l’entendement humain.

Sachant cela, l’homme réalise qu’il ne peut pas maîtriser les effets des phénomènes qu’il ne peut comprendre complètement. Il cherche et propose des solutions qui permettent de détourner le libre cours des phénomènes naturels. Il construit des digues, puis d’autres pour contrer les effets secondaires des premières. Il introduit des gènes étrangers à des organismes, détruit des forêts primaires pour des monocultures puis tente de réintroduire une « diversité culturale » pour rattraper le coup. Bref, à un instant donné, il ne peut maîtriser tous les effets à long terme de ses activités qui transforment la nature. Il ne peut que subir son évolution, qu’il en soit à l’origine ou non, et s’y adapter comme toute autre espèce vivante.

Quête sans fin, cette recherche est toutefois riche de premiers enseignements.

En observant l’évolution des espèces, on s’aperçoit qu’elles suivent toutes le même cours qui passe par des crises. Ces crises sont souvent le signe d’une mutation permettant le passage à la phase suivante. En passant à l’âge « adulte », la larve s’enferme dans une chrysalide pour faire émerger un papillon, capable de se reproduire. A l’échelle de l’espèce, le même cycle s’opère en commençant par son enfance, puis son adolescence et enfin son âge adulte conduisant inexorablement à son déclin et son extinction. La crise civilisationnelle que connaitrait l’homme moderne serait-elle le signe d’une mutation profonde de l’espèce, la crise d’adolescence d’une espèce qui a connu une explosion démographique, sur fond d’orgueil impertinent face à la "mère nature" ? Cette crise annoncerait-elle un âge de raison qui permettrait de poursuivre durablement le développement de l’espèce, humble et consciente de ses responsabilités pour sa survie ?

L’observation de la nature a, de tout temps, inspiré l’homme, ingénieur et architecte de son monde technologique. De Léonard de Vinci aux architectes du gratte-ciel de Dubaï calqué sur les termitières pour son système de rafraîchissement passif, le bio-mimétisme tente de décrypter l’ingéniosité des formes et des processus biologiques, parfaitement adaptés à leurs environnements. Intégrés en écosystèmes, ils exploitent les ressources naturelles avec une efficience qui rend l’évolution des espèces pérenne. 

Pour le concepteur, le bio-mimétisme est une voie possible de l’écoconception de produits durables. Pour le gestionnaire politique, un changement d’échelle s’opère. Il s’agit pour lui de développer des filières et un tissu industriel, sur un territoire et une population donnée. Même au niveau macro-économique, certaines analyses de la crise financière qualifiée de "systémique" renvoient à la faiblesse principale des stratégies court-termistes, qui se concentrent sur l'efficience "aux dépens de la résilience rendue possible par la diversité et un niveau suffisant d'interconnectivité"[2]. Un sysème de "flux complexes" que l'on retrouve... au sein d'écosystèmes naturels durables.

En inscrivant l’homme et ses activités dans les limites de la biosphère et en adoptant une approche systèmique basée sur la "pensée complexe", on ouvre une voie vers le développement durable, celle de l’écologie industrielle. Ainsi, la toute récente science, l'écologie, qui permet aujourd'hui d'analyser et de comprendre des écosystèmes naturels complexes, peut être prise comme modèle d'approche permettant d'analyser d'autres systèmes, d'origine humaine cette fois, comme la macrosphère économique par exemple... 



[1] Accepter sa condition peut être pris au sens existentiel : l’état du monde naturel et anthropique pose les conditions d’existence de l’homme, ce qui rejette l’hypothèse d’une « nature humaine », liée au divin, qui dicte les comportements humains, déterminés.

[2] Extrait d'un article de Bernard Lietaer, Diplomatie n°45 Juillet-Août 2010.

 

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commentaires

C
voir mon blog(fermaton.over-blog.com)
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F
<br /> Blog(fermaton.over-blog.com).No.27- THÉORÈME UMANE. - CRISE INTÉRIEURE.<br /> <br /> <br />
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